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À quoi sert une note en bas de page ?

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Dans le cadre de tous les enseignements qu’il m’a été donné de dispenser, la note en marge que j’ai probablement écrite le plus souvent était “référence à ajouter en note”. Un billet précédent a proposé quelques conseils sur la façon d’écrire une référence à un article, un chapitre ou un ouvrage… Si un prochain billet fera bientôt le point sur l’intérêt de la bibliographie, il m’a semblé utile de commencer ici par évoquer le rôle des notes de bas de page.

Étayer son propos

C’est un principe de base du métier d’historien : il faut étayer son propos. Cela signifie qu’aucune information ne doit être orpheline ; toutes les sources – de première ou seconde main – doivent être indiquées dans les notes de bas de page. La citation de Marc Bloch qui suit est un peu longue, souvent citée, mais elle mérite (comme l’intégralité de l’ouvrage dont elle est tirée d’ailleurs…) d’être lue, relue et méditée :

« Les marges inférieures des pages exercent sur beaucoup d’érudits une attraction qui touche au vertige. Il est sûrement absurde d’en encombrer les blancs, comme ils le font, de renvois bibliographiques qu’une liste, dressée en tête du volume, eût, pour la plupart, épargnés ; ou pis encore, d’y relé­guer, par pure paresse, de longs développements dont la place était mar­quée dans le corps même de l’exposé : en sorte que le plus utile de ces ouvrages, c’est souvent à la cave qu’il le faut chercher. Mais lorsque certains lecteurs se plaignent que la moindre ligne, faisant cavalier seul au bas du texte, leur brouille la cervelle, lorsque certains éditeurs préten­dent que leurs chalands, sans doute moins hypersensibles en réalité qu’ils ne veulent bien les peindre, souffrent le martyre à la vue de toute feuille ainsi déshonorée, ces délicats prouvent simplement leur imperméabilité aux plus élémentaires préceptes d’une morale de l’intelligence. Car, hors des libres jeux de la fantaisie, une affirmation n’a le droit de se produire qu’à la condition de pouvoir être vérifiée ; et pour un historien, s’il emploie un document, en indiquer le plus brièvement possible la provenance, c’est‑à‑dire le moyen de le retrouver, équivaut sans plus à se soumettre à une règle universelle de probité. Empoisonnée de dogmes et de mythes, notre opinion, même la moins ennemie des lumières, a perdu jusqu’au goût du contrôle. Le jour où, ayant pris soin d’abord de ne pas la rebuter par un oiseux pédantisme, nous aurons réussi à la persuader de mesurer la valeur d’une connaissance sur son empressement à tendre le cou d’avance à la réfutation, les forces de la raison remporteront une de leurs plus éclatantes victoires. C’est à la préparer que travaillent nos humbles notes, nos petites références tatillonnes que moquent aujourd’hui, sans les comprendre, tant de beaux esprits. »

Marc Bloch, Apologie pour l’histoire ou le métier d’historien, 2e éd., Paris, Armand Colin, « Cahiers des Annales », 1952 [1949], p. 40.

Il ne s’agit pas d’une obligation propre aux mémoires, thèses ou travaux publiés dans des ouvrages et articles : quel que soit le papier à écrire, vous devez étayer votre propos en partant du principe que rien ne relève de votre imagination pure. Vous basez forcément votre argumentation sur des références existantes et/ou à partir d’une analyse de sources précises, il faut donc y renvoyer.

De ce fait, des expressions vagues telles que « on sait bien que », « les historiens disent que », ainsi que les affirmations péremptoires sont à bannir. Partez toujours du principe qu’aucune affirmation ne va de soi et que personne ne doit vous croire sur parole.

Plus concrètement :

  • si vous écrivez « l’historiographie a largement traité tel aspect », il vous faut ensuite renvoyer à (au moins) un exemple qui permette à votre lecteur de le vérifier, mais surtout d’aller approfondir la question si elle l’intéresse. En ce sens, une telle note doit aussi vous permettre de ne pas avoir à développer un point déjà bien connu des spécialistes en renvoyant aux travaux qui, selon vous, font autorité sur le sujet. Bien entendu, pour vos devoirs de master (un compte rendu, une présentation de sujet, etc.) il n’est pas question d’être exhaustif – c’est dans le mémoire qu’il faudra l’être ! – mais de préciser au lecteur un (ou plusieurs si cela vous semble nécessaire) ouvrage, article ou mémoire, qui vous semble représentatif et important.

  • si vous évoquez la position d’un historien, indiquez toujours la référence exacte à laquelle vous vous référez. « Comme l’a si bien montré Marc Bloch » ne suffit pas : il a écrit un peu plus d’un livre ou d’un article, renvoyez systématiquement à celui que vous utilisez. Si ce dont vous parlez est étudié dans un passage précis (de quelques pages à un ou plusieurs chapitres), n’hésitez pas (si vous disposez de la place) à l’indiquer : “voir tout particulièrement le chapitre X intitulé…, pp. 23-89″ par exemple.
  • si vous développez votre propre interprétation d’un phénomène ou d’un événement, ou si vous énoncez une hypothèse, indiquez toujours sur quoi vous vous basez : des références bibliographiques ? une première lecture (même lorsque, en début d’année, elle reste superficielle) de vos sources ? etc.

Rendre à César…

D’autre part, avec les guillemets, les notes de bas de page constituent une règle strictement incontournable de la citation, dans tous les domaines, mais a fortiori en sciences humaines et sociales, pas d’intertextualité qui tienne ! De ce point de vue, le code de la propriété intellectuelle est très clair :

article L122-5 (modifié par LOI n°2009-669 du 12 juin 2009 – art. 21) : « Lorsque l‘œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire : (…) 3° Sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source : a) Les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’oeuvre à laquelle elles sont incorporées (…) » (lire le texte complet sur Legifrance)

-Définition de Plagiaire dans le Robert historique

Analyses et courtes citations se trouvent au cœur de l’analyse historique, mais gare au plagiat : c’est, certes, d’abord une question juridique, mais c’est aussi, et surtout, une simple question d’honnêteté intellectuelle.

Concrètement, cela implique que toute citation doit être “sourcée” :

  • si vous paraphrasez, cela ne vous dispense en rien d’indiquer la source, la paraphrase vous permet de ne pas ajouter les guillemets, reste que vous devez insérer une note permettant au lecteur d’identifier la référence d’où vous avez tiré votre analyse.

Il existe un cas particulier, qui consiste à puiser une citation non à sa source originale, mais dans un ouvrage ou article l’utilisant. Dans ce cas, il est nécessaire de bien l’indiquer de la façon suivante :

“[référence exacte de la source originale de la citation] ; cité par [référence exacte de la source d'où vous la tirez]“.

Par exemple :

Duguit cite Hauriou

La question du plagiat n’est pas à prendre à la légère. Si l’on met de côté la malhonnêteté pur et simple et que l’on admet qu’un plagiat puisse être involontaire (je n’ai personnellement jamais rencontré ce cas de figure, mais il existe…), cela suppose simplement d’être très vigilant avec les notes prises via “copier-coller”, et de systématiquement noter les références complètes des documents sur lesquels nous travaillons pour ne pas confondre ses propres réflexions avec des notes tirées d’un ouvrage, d’un article ou d’un site internet.

Le plagiat dans le monde universitaire est longtemps resté une sorte de tabou. Quelques chercheur-euse-s ont longtemps été seul-e-s à dénoncer des pratiques bien plus courantes qu’on ne le croit, voir en particulier l’archéologie du copier-coller de Jean-Noël Darde et Internet: Fraude et déontologie selon les acteurs universitaires de Michelle Bergadaà. Il y a encore beaucoup à faire, mais la situation semble changer peu à peu. Le CERSA a ainsi organisé un séminaire sur la question l’an dernier, et un colloque international aura lieu les 20 et 21 octobre à Paris II sur la question du plagiat de la recherche (voir le programme).

*

En histoire, les notes de bas de page constituent un élément essentiel de toute production écrite. Ainsi, il n’est pas rare d’entre dire qu’une recherche historique se lit d’abord dans les notes, comme l’écrivait Marc Bloch dans l’extrait cité plus haut : “le plus utile de ces ouvrages, c’est souvent à la cave qu’il le faut chercher”. (source, p. 40)

Les possibilités qui s’ouvrent peu à peu avec le numérique en changeront peut-être la forme (on peut, par exemple, imaginer des publications multisupport, permettant au lectorat grand public de ne pas avoir à lire les notes, mais offrant la possibilité aux spécialistes de les consulter) mais la qualité de l’appareil critique d’une production historiographique (du mémoire de master à l’ouvrage publié par une grande maison d’édition, en passant par un article de revue et, bien entendu, une thèse de doctorat) et la façon dont il est mobilisé et interprété restera encore longtemps un élément essentiel d’évaluation du sérieux d’une recherche.

J’écris bien “la qualité” de l’appareil critique : il ne s’agit pas de noyer le propos sous un déluge de notes de bas de page, mais uniquement de satisfaire “aux plus élémentaires préceptes d’une morale de l’intelligence”. (source, p. 40)

Émilien Ruiz

Docteur en histoire contemporaine (thèse intitulée "Trop de fonctionnaires ? Contribution à une histoire de l’État par ses effectifs (France, 1850-1950)"). Chercheur post-doctorant au CEE (Sciences Po)

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